Un voyage à Berlin …..

Comme beaucoup d’hommes politiques français qui veulent compter sur l’échiquier politique de notre pays, François Fillon s’en est allé à Berlin. Accompagné par une troupe importante de thuriféraires il a même eu droit à un déjeuner avec la chancelière. Tout est bon pour une photo.

De ce voyage, de nombreux experts en sciences politiques ont donné de la voix où plutôt de la plume. Chacun y allant de son analyse pertinente pour commenter un voyage qui pourtant avait tout de normal. Mais une chose me frappe c’est la relative méconnaissance de la réalité allemande qui les caractérisent.

Nos experts devraient savoir qu’Angela Merkel ne se laisse jamais instrumentaliser et surtout possède un sens de l’action politique hors du commun. Recevoir maintenant François Fillon à Berlin la dédouanait de le recevoir plus tard. Lorsque la campagne présidentielle française entrera dans la phase finale les photos auront vieillies. Dernier cadeau à son ami, l’autre François qui malheureusement n’en profitera plus.

Les plans sur l’avenir que nos experts n’ont pas manqués de faire ne tiennent pas plus compte de la réalité allemande que de celle de l’Europe. Ils nous affirment que l’Allemagne aurait un doute quant à la capacité de la France à s’engager dans les réformes nécessaires pour satisfaire durablement aux critères de la monnaie commune. Pour nos experts affirmer que l’Allemagne doute de la France c’est présenter les réformes de François Fillon comme étant demandées par l’Allemagne. Étrange affirmation lorsque l’on constate que l’Allemagne ne s’est jamais aussi bien portée sur le plan économique. Notre pays est depuis longtemps un élément de l’espace économique que l’Allemagne a mis en place en Europe et rien ne changera cela, pas même les quelques réformes voulues par le camp Fillon. Il serait peut-être aussi honnête de rappeler que notre pays sous la gouvernance de François Hollande a maîtrisé ses finances publiques mise à mal par l’équipe Fillon qui voudrait aujourd’hui reconstruire le pays.

Nos experts voudraient également mettre en avant le réalisme de leur poulain sur la question des réfugiés. Là où notre pays a du mal à en accueillir une petite centaine de milliers, nos voisins en accueillent dix fois plus. Le patronat allemand a très vite compris l’intérêt économique d’un flux migratoire. En France les territoires gérés par la droite refusent de participer à l’effort commun pour des raisons très politiques. La droite inflexible sur ses positions de replis nationalistes nous montre une fois de plus le réalisme tel qu’elle le conçoit. Il n’est pas certain que cela soit partagé par nos amis allemand.

Enfin cerise sur le gâteau voilà l’argument qui va faire plier les allemands. Madame Merkel sera sans doute intéressée par l’analyse de François Fillon sur la Libye et sur la Syrie. Absente très longtemps du Moyen-Orient pour des raisons historique, l’Allemagne bien que membre non permanent du conseil de sécurité, a toujours été un partenaire économique de premier plan dans la région. La Libye depuis la chute de Kadhafi est un problème pour la stabilité de la région et la gestion des flux migratoires. Les aventures militaires en Libye conduites par la France pendant le gouvernement Fillon n’ont pas été jugées très positives par les allemands. On se demande encore aujourd’hui ce qu’un Monsieur Fillon pourrait leur apporter de nouveau.

L’évolution très sensible de la doctrine militaire allemande mis en place peu à peu par la ministre de la défense Ursula von der Leyen commence à montrer ses premiers résultats en Afrique. Mais ici aussi la « realpolitik » qui caractérise la politique étrangère allemande est la ligne suivie par Angela Merkel. L’Afrique est le continent en devenir démographiquement et économiquement. Cela l’Allemagne l’a intégré dans sa vision du monde de demain. L’intérêt nouveau de la Bundeswehr pour le Mali en est un bel exemple.

Le désir d’une Europe de la défense (sous contrôle français) que la droite conduite par François Fillon envisage, ne correspond pas aux aspirations des Allemands. Pour eux, le parapluie nucléaire américain est la seule garantie sécuritaire valable du pays. Peut-être à moyen termes cette position allemande pourra évoluer. L’Allemagne un jour devra prendre d’autres responsabilités au plan mondial et une défense adéquate sera l’instrument de cette nouvelle politique.

Enfin nos experts ont aussi porté leur analyse sur les relations avec la Russie. Encore une fois ceux-ci ont oublié la nature des relations que l’Allemagne entretient avec son proche voisin. Ces relations très denses ont survécu à toutes les secousses géopolitiques qui ont secouées l’Europe. Madame Merkel, très russophile de surcroît, n’est pas prête de changer le cœur de « l’Ostpolitik » encouragée en cela par un patronat très demandeur.

Conduire la politique de l’euro, attitude européenne face aux crises qui l’entourent – incarnées notamment par Vladimir Poutine et Donald Trump –, sans oublier le Brexit : voici donc l’ordre du jour, extrêmement dense, qui attend François Fillon lors de sa visite à Berlin. Le réalisme et le sens de la conduite des affaires d’Angela Merkel a fait d’elle, une auditrice attentive de son hôte mais à son retour à Paris François Fillon comprendra qu’un voyage à Berlin ne suffira pas pour convaincre nos amis allemands. C’est cela la « realpolitik ».